A cette époque là, les « barrières » appartenaient aux gens des barrières. A certains d’entre eux surtout. Si l’on en juge par la littérature pittoresque, les plus ardents au plaisir ou les plus réputés en la matière étaient les travailleurs des abattoirs. Ils bénéficiaient déjà de la vieille gloire des bouchers que résumait aux yeux des Parisiens « la marche du bœuf gras », avec Vénus, Mercure et Hercule tenant dans ses bras, tout frisé, l’enfant Amour. A cette espèce de noblesse qu’ils semblaient posséder de droit, s’ajoutait le lustre nouveau dont les paraît, au dire des contemporains, la splendeur des abattoirs créé par Napoléon- surtout de celui de Montmartre, inauguré en 1818 et le plus admiré. Aussi étendaient-ils au loin leurs exploits. Ils faisaient la loi à la Courtille ou s’y efforçaient. Mais c’est surtout à la barrière du Combat qu’on les voyait s’affronter aux jeux violents et aussi à l’amour et à ses jeux parfois non moins sanglants, outre ces grands seigneurs curieux d’émotions fortes, les travailleurs que le trafic du canal Saint-Martin, inauguré en 1825, amenait dans ces parages, coureurs d’écluses, haleurs et débardeurs, sans compter la fine fleur de la Courtille et de plus loi encore.
Dans son livre Les industriels, (1842) La Bodelière, ayant décrit leur « vigueur, leur embonpoint peu commun et leur habitude de verser le sang qui produit les mêmes effets qu’une férocité native » ajoute ce conseil : « Evitez donc toute querelle avec les garçons d’échaudoir, habitués au « Bull-Baiting » de la barrière du Combat et qui se servent du couteau comme d’autres du poing. »
Mais si les bouchers de Montmartre vont se distraire si loin c’est sans doute qu’ils ne trouvent pas sur place, chez eux des partenaires, c’est à dire des plaisirs et des lieux de plaisir dignes d’eux. Ce qu’étaient les gens qui hantaient ces parages, y habitant, y travaillant ou venant s’y distraire ou encore y rôdant, s’y cachant ou machinant quelque mauvais coup, la littérature le suggère. Ce sont des travailleurs de hasard, des chiffonniers, ds chômeurs, des vagabonds, des épaves de la ville et d’ailleurs, des gens qui travaillent dans les carrières ou viennent seulement y dormir. Ceux que décrit Nerval, compagnons vraisemblables du Chourineur.
« Les pierres du Louvre, les fours à plâtre de Clichy et les carrières de Mont-Rouge, raconte ce dernier à Fleur de Marie, voilà les hôtels de ma jeunesse, lorsque j’avais attrapé mon lopin de chair de cheval, je m’en sauvais avec ça dans mon four à plâtre comme un loup dans sa tanière, et là, avec la permission des chaufourniers, je faisais sur les charbons une grillade soignée »
a moins que préférant une viande plus fine, il n’eût connu l’horrible mésaventure de ces deux voleurs de viande, qui, ayant été pris sur le fait, en pleine nuit par des garçons d’échaudoir de l’abattoir de Montmartre, se virent proprement châtrés et livrés aux chiens. A ces chiens gigantesques et redoutables que les bouchers, pendant longtemps, nourrirent pour voiturer la viande sur de petites charrettes, de l’abattoir aux boutiques. Ils le firent jusqu’au jour où ce genre d’attelage fut proscrit et remplacé par des chevaux. Cependant les bouchers de Montmartre en élevaient encore, pour le plaisir, par amitié pour ces bêtes dont on disait qu’elles leur ressemblaient, et aussi pour le spectacle du combat.
La Bedolière raconte l’histoire de ce boucher qui, muni d’un couperet, s’apprêtait à couper le bras des maraudeurs nocturnes qui, à travers les grilles qui ferment les boucheries, décrochaient, avec une perche, les gigots pendus au plafond.
Source: Louis Chevalier : dans son Montmartre du plaisir et du crime
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire