Le peintre mourut 6 boulevard de Clichy dans un appartement avec un vaste atelier, que Suzanne Valadon lui avait trouvé, lorsqu’il avait dû quitter la rue Victor Massé. Il avait toujours habité Montmartre sans pour autant avoir jamais participé à la vie montmartroise. Encore qu’il allât fréquemment dans les caf’conc entendre les chanteuses populaires. Ce personnage caustique, à l’esprit fulgurant et meurtrier, misogyne, aux goûts plus aristocratiques que bourgeois aimai parfois s’encanailler. De ses expéditions dans les « beuglants » il devait ramener quelques uns de ses chefs-d’œuvre, où la lumière artificielle donne aux couleurs des chatoiements d’émaux.
Au début du siècle, Degas, presque aveugle, s’il dessinait encore, avait renoncé à peindre. Pour tuer le temps, il déambulait interminablement sur les boulevards, et sa silhouette de vieil Homère en jaquette et Cronstadt gris était familière à tous. Sans doute Picasso le connut-il de vue. Toujours il admira son œuvre, et l’un des trésors du bric-à-brac de crocheteur était la suite de lithographies de ma « Maison Tellier » qu’il commentait avec respect. L’esprit caustique de Degas était célèbre dans les ateliers de Montmartre, et à la grande époque du Bateau-Lavoir l’un des petits jeux auxquels se livraient les poètes et les peintres qui fréquentaient l’atelier de Picasso consistait à « faire Degas », c’est-à-dire à s’envoyer les uns aux autres, les pires rosseries sur le ton de la plus exquise courtoisie mondaine. Si Degas avait su ! Quels anathèmes cinglants n’aurait-il pas fulminé contre ces clochards de l’art.
Quand il habite encore rue Victor Massé, il gravit parfois les dures pentes d’un pas hésitant d’aveugle pour aller rendre visite à Suzanne Valadon, rue Cortot. Les blanchisseuses qu’il aime observer, fasciné par leurs gestes et leurs attitudes le détestent. Jean-Gabriel Domergue l’entendit se faire couvrir d’injures ordurières par ces maritornes qui le prenaient pour un voyeur : « Vieux dégoûtant...si c’est pas honteux à son âge ! »
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