En marge du Maquis, vivait un jeune peintre qui, s’il n’appartenait pas encore à l’avant-garde, allait élaborer silencieusement une œuvre qui serait l’avatar le plus sensible et le plus séduisant du cubisme. Jacques Villon, de son vrai nom Gaston Duchamp, s’était installé dans un atelier de la rue Caulaincourt proche du Maquis. Maquis dont il donna également un aspect dans l’une de ses aquatintes. Arrivé en 1898, il devait y rester près de dix ans et n’en repartir qu’en 1907 pour aller s’établir à Puteaux où son atelier devint le centre de la « Section d’or » qui réunissait les cubistes n’appartenant pas au groupe du Bateau-Lavoir, c’est à dire : Fernand Léger, Gleize, Metzinger, La Fresnaye…
L’aîné des trois frères Duchamp, qui avait choisi le peudonyme de Villon par admiration pour le poète, menait une vie très studieuse. Une petite pension de 150francs par mois que lui faisait son père, notaire à Blainville, près de Rouen, lui permettait de travailler sans trop de soucis, d’autant qu’il complétait ses revenus en donnant aux journaux humoristiques –L’Assiette au Beurre, Le Courrier français, Le Rire- des dessins marqués de cet humour acidulé et cynique que l’on affectionnait à la Belle Epoque
Jacques Villon, devenu célèbre sur le tard, n,’était pas très fière de cette production qu’il appelait « sa période inavouable »
J’ai collaboré trop longtemps aux journaux, disait-il,. Mais ils m’ont amené à beaucoup interroger la rue. Je devais inventer la légende, créer une situation, saisir la réalité, en somme.
A cette époque, l’influence des journaux sur l’art est incontestable. Grâce à eux la peinture a été plus rapidement délivrée de l’académisme.
Opinion qui rejoint celle d’Apollinaire.
Si Villon n’avait pas la griffe d’un Forain, c’était un dessinateur humoristique vif et rapide qui savait utiliser au mieux les possibilités techniques des journaux. Ses dessins témoignent déjà de ce sens du mouvement, qui allait marquer ses premières œuvres : Les Haleurs et les Soldats en marches
Ce qu’il aimait représenter, c’était le petit monde de la fête montmartroise, celui des femmes entretenues, des bohêmes, des arpètes, des fillettes sur la pente de la perdition, des apaches de la Goutte d’Or. L’un de ces dessins publié dans Le Courrier Français est caractéristique de son humour. Il représente une femme retroussée sur un lit en compagnie d’un peintre. « t’as donc une femme ? s’exclame un voisin entré à l’improviste
-oui, mon vieux, avec un copain !
Ce que l’on sait peu, est que le jeune frère de Jacques Villon, Marcel, venu le rejoindre à Montmartre en 1904, collaborait lui aussi aux journaux amusants. D’une façon assez irrégulière et nonchalante, bien dans sa manière. Ainsi, le futur « Grand Guigui Manitou » du dadaïsme fit-il ses premières armes dans la dérision en collaborant à la presse d’humour. Rien de surprenant alors à ce que plus tard, il ait accepté d’être sacré « Maître de l’ordre de la Grande Gidouille du Collège de Pataphysique »
Vivant à Montmartre, Jacques Villon ne fréquentait pas le Lapin Agile et les bistrots de la Butte où se retrouvaient les membres du Bateau-Lavoir
La vie d’artiste studieux que menait Villon n’était pas pour autant exempte d’une certaine couleur qui se ressentait du voisinage. Il était inévitable qu’il entrât en rapport avec quelques-uns des personnages pittoresques de ce bidonville. D’autant qu’il aimait beaucoup les individus en marge, en réaction avec le milieu bourgeois dans lequel il avait été élevé, et son atelier à certains moments ressembla à un dortoir de l’Armée du Salut. Il y avait là, selon Francis Jourdain son voisin de palier, une équipe hétéroclite de peintres sans chevalet,
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