Que la paix soit avec toi ! Ainsi, déjà souriante, la menue, gentille et brune Laërtia, ouvrant ses yeux encore brouillés par le sommeil, saluait-elle son époux, le blond géant Tubaldus, qui s’arrachait en grognant du lit conjugal. Ce souhait ne sembla pas du goût de Tubaldus dont le réveil était moins suave que celui de sa jolie compagne.
Ah ! Qui songe à troubler la paix ? Ce n’est pas demain que les ennemis de notre Empereur, le divin Domitien, pénètreront jusqu’à Lutèce. C’est à peine s’ils osent regarder en face les poteaux de nos frontières dans les forêts de Germanie. Tu ferais lieux de demander à Mercure ou à Wotan, à ton choix, de me faire faire une fructueuse recette.
Tubaldus se tut ; sa bouche n’était pas accoutumée à prononcer d’aussi longs discours où la politique, la stratégie et la religion trouvaient tour à tour leur place. Sa bouche lui servait habituellement à un tout autre usage : il était avaleur de sabres. Il exerçait son art en public sur les champs de foire ou parfois pour des séances particulières, dans l’atrium de quelque fonctionnaire romain ou dans la villa de quelque riche parisien, aux environs de Lutèce.
Sa renommée était grande. Dans le menu peuple comme chez les patriciens et les chevaliers, le nom de Tubaldus était connu. Son nom n’était pas absolument son nom. Il était originaire de la rive droite du Rhin, c’est pourquoi il invoquait indifféremment les dieux de Rome ou ceux de la Germanie, tout comme il avalait avec une égale infaillibilité le glaive court et droit du légionnaire, l’épée longue et épaisse du Goth ou la lame effilée et recourbée du Dace. Tubaldus s’était appelé Thubalt dans sa forêt natale, mais, établit dans les pays gallo-romains et ayant épousé une Parisienne, il avait romanisé son nom.
Un peu attristée par l’accueil rude de son mari, qu’elle aimait malgré sa brusquerie, la douce Laërtia s’activait à lui préparer son déjeuner.
Peu de chose, avait dit le géant considérablement radouci à la vue de sa gentille épouse occupée à attiser le feu de bois sur le petit fourneau de terre placé dans la cour de la maison, cour sur laquelle donnait sans porte le cubiculum ou chambre à coucher.
Laërtia savait que pour avaler des sabres, il ne faut pas avoir l’estomac chargé. Mais ce n’est pas charger l’estomac d’un homme de la taille de Tubaldus, qui doit parcourir plus de deux milles par des mauvais chemins, - on était déjà le 9 octobre- pour se rendre à son travail, que de lui faire manger quatre petites truites de rivière au beurre, deux belles tranches de foie de porc et un plat de pommes cuites la veille sous la cendre.
Tubaldus, assis sur un banc, fit honneur à cette collation.
- belle journée, dit-il, en mangeant la quatrième truite.
- il y aura du monde, ajouta-t-il, après la deuxième tranche de foie de porc engloutie sur une jolie miche de pain. Il y a toujours du monde à la foire de la montagne Mercure et, Bella, le montreur d’ours croit que le préfet Fescennius tiendra tribunal.
A ces mots, Laërtia leva la tête.
- Tribunal, dis-tu, et qui jugera-t-on ?
- Pas moi, pour sûr, s’exclama Tubaldus, la bouche pleine d’un petit fromage de chèvre qu’il absorbait comme dessert. Il ne manque pas à Lutèce de malfaiteurs. A moins que l’on ne s’amuse à juger quelques-uns uns de ces chrétiens..
- Des chrétiens ? Tu crois ? Mais à qui font-ils du mal ?
- Ce ne sont pas mes affaires. Ils refusent de sacrifier sur l’autel des dieux.
Et s’ils veulent rester fidèles à leur Dieu ?
Quel mal cela leur ferait-il de jeter quelques grains d’encens devant Jupiter ou Mercure ? Je le fais, et pourtant Wotan vaut bien n’importe qui.
Sur cette phrase où il avait mis toute sa science théologique, après avoir essuyé sa moustache tombante d’un revers de main, Tubaldus embrassa sa femme et franchit le seuil de sa modeste demeure. Laërtia le regarda partir. De la tristesse était dans ses yeux en rentrant dans sa maison. Après qu’eut disparu la silhouette de son mari, elle porta sa main à son front, puis à sa poitrine, puis à ses épaules : elle alla s’agenouiller dans un coin de sa cour, devant un pilier où l’image d’un poisson était grossièrement gravée.
Tubaldus marchait vite. Il était vêtu d’un costume mi-romain et mi-barbare. Des lanières de cuir chargées de plaquettes de métal s’enroulaient autour de son torse et de ses jambes, une lanière encerclait sa tête et retenait ses longs cheveux fauves. Sous ses bras nus, il portait ses instruments de travail, épées de toutes longueurs et de toutes formes, bien attachées afin qu’elles ne se heurtent pas, car s’il est nécessaire pour la joie des badauds que les armes que l’on avale soient aiguisées, il est indispensable pour la sécurité du gosier et de l’œsophage qu’elles soient nettes et sans hachures. Sur son dos flottait un éclatant manteau rouge afin d’attirer les curieux vers la haute stature. Ce manteau était son enseigne.
En se hâtant, Tubaldus réfléchissait ; il supputait la recette probable et les choses bonnes à manger qu’il pourrait se procurer. Il sourit même un moment en songeant que, s’il avait du superflu, il pourrait acheter pour Laërtia un de ces larges bracelets en cuivre niellé que l’on vendait à la foire et qui brillerait comme de l’or sur sa peau mate.
Il maugréait aussi. Il avait consenti, pour ne pas éloigner Laërtia de sa famille, à s’installer dans cette maisonnette de Catullianus, si éloignée de tous les champs de foire des environs de Lutèce et de Lutèce même où étaient son travail et ses clients. La campagne était agréable, certes, après le bruit de la ville, mais deux milles, c’est la grande banlieue et il y a des maisons bien désirables cachées dans les feuillages sur la colline vers laquelle il se dirigeait de toute la vitesse de ses grandes jambes.
Quand il arriva au haut de cette colline, que coiffe majestueusement le temple du divin Mercure, beaucoup de places étaient déjà prises ; pourtant Bella, le montreur d’ours, son ami, avait pu lui conserver à coté de lui un carré verdoyant. Tubaldus en était tout réjoui. L’emplacement était excellent, juste au pied de la première marche du temple, là où se tiennent d’habitude les personnages de marque qui n’aiment pas à frayer avec le menu peuple. Sans se déranger, ceux-ci assisteraient à ses exercices et après ne manqueraient pas de jeter des sesterces dans son manteau déployé. Une dame, émue par sa prestance autant que par son adresse, ne lui avait-elle pas lancé une fois un denier d’argent ?
La colline s’animait. C’était jour férié, -la fête du divin Jules *César, - et les Parisiens s’étaient de bon matin échappés de leur île de Lutèce pour venir jouir de cette journée d’automne ensoleillée. Ils aimaient à déjeuner à la campagne et ils trouvaient ici tout ce qu’il faut pour un repas champêtre ; frituriers en plein vent, qui sur de longs bâtons faisaient mijoter des cuisses de grenouille, de savoureux morceaux de viande, fruitiers étalant des montagnes de pommes rouges et des paniers de raisin doré. Boulangers et pâtissiers aux appétissantes galettes et surtout marchands de vin innombrables dont les amphores étaient pleines à déborder de jolis vins clairets nés sur ces coteaux mêmes ou venus de crus renommés de Suresnes.
Pour l’instant, les promeneurs donnaient toute leur attention aux montreurs d’animaux, aux jongleurs, aux faiseurs de tours ; ils allaient écouter les chanteurs et les musiciens ; la dresseuse de puces avait un grand succès. On se faisait lire les lignes de la main par des pythonisses économiques et là-bas un grand nègre éthiopien à demi nu arrachait les dents en poussant des cris rauques qui couvraient les plaintes de ses clients.
Dès que Tubaldus fut installé, il fit recette. Son nom et son manteau rouge étaient également populaires. Beaucoup de ses admirateurs étaient évidemment platoniques, mais il était certain de délier les bourses les plus plates et les plus rétives en avalant le glaive – ou son sosie- dont avait été frappé l’empereur Néron
Le soleil n’était pas encore au haut de sa course et déjà Tubaldus avait amassé en monnaie de bronze ou de cuivre une somme assez confortable, quand le fracas des longues trompettes droites annonça l’arrivée de Préfet. Fescennius, un petit homme gras et poussif, montait péniblement à pied le chemin qui mène au temple ; il avait, pour se faire de la popularité, laissé sa litière au pied de la colline et il le regrettait, car s’il recueillait quelques acclamations polies, - poussées surtout par des employés de l’administration – il éprouvait une grande lassitude. Sa mauvaise humeur était visible quand, suivi d’une brillante foule de familiers, il passa à la hauteur de Tubaldus.
Avant de monter les marches du temple, il s’arrêta pour souffler, ses yeux tombèrent ou plutôt s’élevèrent vers le germain.
Le bel homme ! Dit-il de sa voix aigrelette où perçait un peu de jalousie.
C’est Tubaldus, l’avaleur de sabres, lui murmura, obséquieux, un des édiles qui l’accompagnaient. Te plairait-il de le voir travailler ?
Fescennius acquiesça. C’était toujours cela de gagner sur l’ascension.
Tubaldus commença aussitôt ses exercices. Glaives romains, sabres daces, épées germaniques disparurent tour à tour dans son gosier comme s’ils avaient été faits de pâtes comestibles. Il les avalait jusqu’à la garde et semblait ne les sortir qu’à regret. Il omit volontairement d’insister sur l’épée de Néron, ne sachant pas quelles étaient les idées de ce préfet venu de Rome sur la personne du défunt Empereur.
Fescennius parut intéressé :
C’est bien, laissa-t-il tomber enfin et, de sa main grasse, il jeta une large pièce d’argent aux pieds de Tubaldus.
Les personnes de sa suite imitèrent ce geste, proportionnant leurs dons à leur importance ou à leur dignité. L’avaleur de sabres était dans la joie.
« Wotan m’est favorable aujourd’hui, pensa-t-il, à moins que ce ne soit Mercure… »
Fescennius gravit les degrés du temple et vint s’asseoir sur la chaise curule apportée par les esclaves. Un autel portatif surmonté d’une statuette du dieu ailé fut placé à sa droite et sur cet autel un feu de bois aromatique envoyait vers le ciel des volutes de fumée odorante.
C’est vrai qu’il va y avoir tribunal, dit Tubaldus à Bella dont l’ours se léchait avec soin les quatre pattes.
Qui juge-t-on ?
Nous allons le savoir.
Après le jugement, je t’emmènerai vider une amphore de vin de Suresnes.
Le Préfet avait fait un signe. Aussitôt un greffier se leva et tira de sa robe des tablettes. Il se mit à lire. Tous les jeux cessèrent, la voix monotone du greffier portait loin. Il commença par énumérer les titres et les mérites de l’Empereur Domitien, puis il dit que celui-ci dans sa bonté immense avait envoyé son préfet Fescennius pour débarrasser Lutèce des chrétiens qui la déshonoraient.
C’est donc cela, dit Tubaldus.
Le silence s’était fait plus lourd dans la foule.
Le greffier ferma ses tablettes. Il parlait maintenant au nom du Préfet lui-même. Celui-ci, par sa bouche, déclarait que tout citoyen devait être prêt à sacrifier aux dieux de l’Empire. Un léger murmure s’éleva : on ne pouvait savoir si c’était de l’approbation ou du mécontentement.
Ayant passé sa langue sur ses lèvres, le greffier continuait :
Un certain nombre de personnes ayant, ces jours derniers, refusé d’accomplir le geste rituel, nous les faisons comparaître aujourd’hui à notre Tribunal. Si, publiquement, elles acceptent de sacrifier au divin Mercure, elles seront immédiatement relâchées, et restituées dans tous leurs honneurs et leurs biens. Si, au contraire, elles persistent dans leur refus sacrilège, justice sera faite et leurs biens confisqués.
La foule écoutait angoissée. Ainsi cette belle journée de plaisir allait peut-être devenir une journée sanglante.
Du temple où ils étaient enfermés, les gardes firent sortir, chargés de chaînes, trois hommes. Les deux premiers étaient connus du peuple : c’étaient d’importants personnages. L’un, Lisbus, ancien préfet, jouissait de la considération de tous ; il portait de riches habits conformes à son rang.
Après lui, venait Crespidus, un opulent marchand qui possédait à Lutèce une belle demeure et une splendide villa sur la rive gauche de la Seine. Il était célèbre par sa bonté et sa générosité, toujours prêt à venir en aide aux pauvres, secourable pour ceux qui étaient momentanément dans la gêne. Un grognement s’éleva du peuple à la vue de sa silhouette débonnaire, revêtue d’une belle toge bordée de pourpre, car il avait rang de sénateur.
Le troisième était un vieillard. Un vieillard droit, sec, à la barbe blanche ; il portait une longue tunique de lin et un seul anneau brillait à son doigt.
L’évêque Denis, chuchota quelqu’un et quelques femmes répétèrent à mi-voix : l’évêque Denis.
Les gardes poussèrent avec une brutalité mêlée de considération – car un grand personnage, même enchaîné aujourd’hui, peut demain redevenir redoutable, - l’ancien préfet Lisbius vers l’autel.
Sacrifie, lui dit Fescennius, et il ajouta à voix basse à son ancien collègue, et comme pour s’excuser :
« Ce n’est qu’une formalité. »
Lisbius hésita. Il vit des centaines d’yeux braqués sur lui. « Sacrifie ! » Lui criait-on dans la foule. Alors, lentement, étendant son bras droit et le front bas, il jeta dans le feu quelques grains d’encens.
Tu es libre, Lisbius, dit le Préfet. Les dieux de l’Empereur sont satisfaits.
On détacha les chaînes et Lisbius disparut, se dissimulant derrière les colonnes du temple.
Ce fut alors le tour d’Aulus Crespidus.
Sacrifie, lui ordonna le Préfet.
Sacrifie, supplia la foule. Le négociant regarda autour de lui comme s’il espérait quelque secours.
Sacrifie, priait toujours la foule.
Vivement, comme on fait une mauvaise action, Crespidus jeta sur l’autel les grains d’encens, puis, débarrassé de ses fers, il descendit les degrés comme un homme ivre et se mit à fuir vers la Seine.
Enfin on fit avancer le vieillard tout blanc dans sa robe blanche. Brutalement on le maintint près de l’autel. Il ne regardait ni la statue du dieu, ni le Préfet, ni le feu, mais son regard fixé au loin semblait voir quelque chose que les autres ne pouvaient apercevoir.
Sacrifie, dit pour la troisième fois le Préfet.
Cette fois la foule se tut.
Sacrifie, répéta, impatienté, Fescennius.
Le vieillard parla :
Je suis chrétien. Je ne sacrifierai pas à vos faux dieux. Je mourrai avec joie en confessant le nom du Christ. Quant à mes biens, ils ne sont pas de ce monde.
Fescennius se souleva à demi sur sa chaise. Il criait, écumait de rage :
Tu méprises nos dieux et les ordres du divin Auguste !
Il n’y a qu’un Dieu auquel j’obéis, dit le vieillard.
Tu vas mourir.
J’attends la mort avec confiance.
Que l’on exécute cet homme !
Le vieillard restait debout sur le haut des marches et le silence planait sur le peuple.
J’ai dit que l’on exécute cet homme ! Hurlait le Préfet.
Autour de lui on s’agitait0 Fescennius frappait du pied. Un garde s’approcha.
Seigneur, le bourreau qui était ici est parti.
Qu’on le cherche.
Au bout d’un instant qui sembla un siècle, le garde revint.
Il paraît qu’il s’est enfui dans la campagne.
Quand on le retrouvera, on le mettra à mort.
Mais qui donc exécutera le condamné pour obéir à la sentence que l’Empereur a prononcé par ma bouche ?
Tout le monde se taisait ; aucun exécuteur de bonne volonté se présenta. Fescennius regarda autour de lui ; les yeux se détournaient ; enfin son regard tomba sur Tubaldus toujours debout au pied des marches. Un rictus passa sur le visage du Préfet.
Tiens, ce faiseur de tours est bien le bourreau qu’il me faut. Tu avales des sabres, tu dois savoir t’en servir ?
Ce n’est pas mon office, dit Tubaldus.
Qu’importe ! C’est un ordre.
Je suis un homme libre
Tu seras payé
Je ne gagne pas mon pain de cette façon.
Fescennius était maintenant cramoisi. Il venait de se voir désobéi par un vieillard têtu et voilà que publiquement un bateleur osait lui tenir tête. Son amour-propre se confondit soudain dans son esprit avec la majesté de Rome, avec la dignité de l’Empereur. il cria aux gardes :
Allez me chercher ce chien et, s’il n’obéit pas, qu’on le pende au premier arbre après lui avoir rompu les os à coup de bois de lance.
Les gardes se précipitèrent, trop heureux de voir la colère du Préfet passer au-dessus d’eux. Brutalement, quatre d’entre eux s’emparèrent de Tubaldus. Ils le poussèrent, le hissèrent jusqu’au haut des marches. Il tenait encore à la main le sabre qui était le dernier qu’il avait avalé.
Avant d’avoir eu le temps de rassembler ses idées, le Germain était devant le magistrat. Ce petit homme ne lui faisait pas peur, il en aurait même ri, mais il sentait derrière lui, la puissance formidable de l’Empire, cette puissance qu’il subissait sans bien la comprendre.
Frappe, dit Fescennius ou tu es un homme mort.
Tubaldus allait refuser. Soudain, il revit Laërtia, s petite maison où il faisait bon souper le soir. Le jour était tiède, le soleil gai. Le vieillard était agenouillé, la tête appuyée sur la base d’une colonne.
Frappe, répéta le Préfet.
Et après tout pourquoi, lui, mourrait-il plutôt que cet homme en blanc dont les jours étaient comptés ? Quels étaient ses droits ? Quels étaient ses devoirs ? Il avait tué là-bas dans sa forêt natale pour se défendre. Qu’était-il pour désobéir à Rome ?
Gardes ! Appela Fescennius, arrivé au paroxysme de la colère.
Les légionnaires se serraient autour de lui. Il vit Laërtia qui l’attendait, qui l’attendrait toujours. Alors, comme dans un rêve, Tubaldus fit tournoyer sa lame mince et flexible. Elle siffla en l’air et vint s’abattre sur le cou blanc. Le sang jaillit. La tête tomba.
- Voilà pour toi ! Cria le Préfet en jetant une bourse de cuir qui, sur la dalle, fit entendre un bruit métallique.
Un grand cri était monté du peuple.
Tubaldus ne ramassa pas la bourse ; il ne regarda ni à droite, ni à gauche. Jetant son sabre, il s’enfuit. Il fendit la foule et se mit à courir.
Il ne s’arrêta que dans sa petite maison de Catullianus.
Dans la cour, Laërtia épluchait des légumes. Le géant blond se jeta à genoux, la tête sur la poitrine de sa petite épouse :
J’ai tué un juste, sanglota-t-il et ses mains sanglantes imprimèrent leurs traces sur sa robe bleu clair. Longtemps, ensemble, ils pleurèrent, Tubaldus sur son acte, Laërtia sur un crime qu’elle ignorait.
Le soir tomba.
Sur la route, une forme s’avançait environnée d’une douce lumière, tandis que l’on pouvait entendre un concert dont les exécutants étaient invisibles.
La silhouette glissa jusqu’à la maison de Tubaldus et pénétra dans la cour qui fut soudain illuminée et bruissante. Tubaldus et Laërtia levèrent les yeux.
Devant eux était debout le corps de l’évêque Denis, le martyr. Sa tête coupée reposait dans ses mains, les yeux clos comme par un délicieux sommeil. Les lèvres s’écartèrent :
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Tubaldus, dirent-elles, je te pardonne.
Puis l’évêque s’avança encore, il déposa sa tête devant le pilier qui servait d’oratoire à Laërtia et il s’étendit enfin comme un vrai mort.
Je suis chrétien ! Cria Tubaldus.
J’étais déjà chrétienne, dit Laërtia et elle ajouta : que la paix soit avec toi.
Dans la petite maison de Catullianus, Tubaldus et Laërtia, de leurs mains, enterrèrent l’évêque Denis qui, décapité était venu du lieu de son supplice jusque-là pour recevoir la sépulture et apporter son pardon à son bourreau.
Plus tard, Dagobert éleva une basilique sur cet emplacement qui devint Saint-Denis, tandis que la colline où tomba la tête de l’évêque de Lutèce s’appela et s’appelle encore : le mont des Martyrs- Montmartre.
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